Le déboisement agricole inquiète à Hawkesbury-Est

16 février 2023 à 05h14

Dans une région rurale comme Prescott-Russell, le déboisement est chose fréquente pour l’agrandissement des terres et de la culture. L’accumulation de cette pratique inquiète toutefois certains citoyens, notamment à Hawkesbury-Est où on déplore le manque d’encadrement du Canton autour de cet enjeu.

Noé Cloutier

IJL – Réseau.Presse – Le Régional

 

« Je comprends que l’agriculture est importante, qu’il y a un besoin, particulièrement ici, mais les forêts aussi c’est important, affirme Lucie Dorris, une citoyenne préoccupée de Saint-Eugène, ayant fait part de ses inquiétudes au conseil municipal du Canton, le 13 février dernier. J’ai vite remarqué qu’ils n’étaient pas intéressés, mon speech ne faisait qu’une page, et pourtant, on m’a vite fait signe de me dépêcher… », a-t-elle discerné.

Habitant le Canton depuis près de 15 ans, elle déplore avoir vu les boisés avoisinant sa résidence graduellement disparaitre à travers les années : « Cela me concerne moi, mes voisins, mais aussi pas mal tout le monde qui passons dans la région en voyant les forêts coupées », a-t-elle confié  au Régional.

  

Loin d’être un cas isolé

En contactant les organismes environnementaux de la région, le Régional a constaté que madame Dorris n’était pas la seule à s’inquiéter, autant à Hawkesbury-Est que dans le reste de la région.

« Il y a beaucoup de coupe dans ce secteur, c’est très visible [particulièrement] sur la grande montée, mais cela se voit aussi un peu partout dans Prescott-Russell », affirme Thaila Riden, président de l’organisme Éco Est, et justement, citoyen de Hawkesbury-Est.

Maintenant du côté de Boisés Est, une association francophone regroupant plus de 200 propriétaires de boisés privés dans l’Est ontarien, le constat est alarmant. « En se fiant aux recommandations du fédéral, notre couvert forestier devrait au minimum représenter 30% de notre territoire. Mais, selon les derniers chiffres offerts par la Conservation de la Nation Sud (CNS), en 2014, on était à 24,8%. Depuis, notamment à cause de la déforestation agricole, on estime se situer actuellement entre 20 et 22%... », rapporte Jean Saint-Pierre, porte-parole de Boisés Est, en ajoutant qu’en plus de la déforestation, plus de 3 000 acres de forêts ont aussi été endommagés dans la tempête de mai dernier.

  

Manque de réglementation… et de volonté?

En commençant par contacter le Canton de Hawkesbury-Est, la réponse est catégorique : « Non la municipalité n’a pas de recours lorsqu’un agriculteur coupe une forêt pour en faire une culture. À moins que ce soit un boisé protégé », informe Hemi Villeneuve, greffière du Canton.

Selon la Loi sur les municipalités de l'Ontario, le pouvoir d'adopter des règlements pour empêcher les coupes à blanc revient toutefois au palier supérieur, dans ce cas-ci, aux Comtés unis de Prescott et Russell (CUPR). Or, comme le souligne Louis Prévost, directeur de l’urbanisme et des foresteries au CUPR, la Loi permet cependant au gouvernement de palier supérieur de déléguer cette autorité aux municipalités locales.

« Ceci a été fait il y a 5 [ou] 6 ans, je crois. Donc en théorie, les municipalités locales ont tous les pouvoirs nécessaires pour adopter un tel règlement. À ma connaissance aucune d'elles ne l'a fait à ce jour », a-t-il écrit en retour à notre courriel.

De retour en 2023, sans que rien n’ait vraiment changé, autant Boisés Est qu’Éco Est, se questionnent à savoir si cette décision était la bonne : « On relance la balle entre les mains des municipalités qui, peut-être, n’ont pas nécessairement les ressources pour gérer un tel enjeu, relate Jean Saint-Pierre. Clairement, pour qu’un changement se fasse et que des lois soient adoptées, encore faut-il qu’il y ait un peu de volonté politique », commente quant à lui Thaila Riden.

  

« Trouver un équilibre »

Tout comme Lucie Dorris, Jean Saint-Pierre ne veut cependant pas minimiser l’importance de l’agriculture. Il ne croit pas non plus qu’il soit possible de stopper la totalité du déboisement. À ses yeux, il s’agit de trouver un équilibre.

« Pour qu’un écosystème soit en santé, tu dois avoir un peu de soleil, un peu de terre, un peu d’eau et un peu de forêts et on connait l’importance de la forêt pour tous les autres. Elle absorbe les polluants, réduit les grands changements de température, les risques d’inondation et a un impact extrêmement positif sur la santé mentale et physique de la population. Sans arbres, il n’y a tout simplement pas d’équilibre », énumère-t-il, en indiquant que l’association qu’il représente inclut même quelques agriculteurs.

  

Petit train va loin

Thaila Riden souligne tout de même que certaines initiatives sont nées pour pallier le manque d’action sur les terrains de jeu municipaux. Il cite notamment la création de la Fiducie foncière de l'est de l'Ontario en 2022, visant à protéger les forêts de la région, d’une manière semblable à ce qui s’est fait à Wentworth, au Québec. Au provincial, il existe aussi certains incitatifs visant à encadrer la protection des forêts, tel que le Programme d’encouragement fiscal pour les forêts aménagées : « Comme on dit en anglais, ce genre d’initiative ne représente qu’encore ‘a drop in the bucket’ », indique-t-il pour représenter le travail qu’il reste à faire.

Cependant, même si la situation semble avancer à pas de tortue, on se console en se disant qu’au moins, elle avance : « Pour l’instant, les gens qui font de la grande culture sont sans doute plus ‘convaincants’ [que les environnementalistes] auprès des conseils municipaux. Mais, c'est en train de changer. On constate que de plus en plus d’organismes comme nous et de citoyens se rendent compte du problème et demandent de l’action... », termine Jean Saint-Pierre, croyant ardemment que ce changement se fera en « éduquant et en informant » les citoyens.

Des citoyens qui, comme Lucie Dorris, ont un regard vers le futur : « Même si c’était  ‘trop tard’ pour nos forêts à nous, je me dis que si plus de gens se présentent en demandant du changement, d’autres pourront un jour en bénéficier », lance-t-elle, pleine d’espoir.