Le casse-tête de l’autisme dans l’Est ontarien

09 janvier 2024 - 10:05

Les parents denfants atteints du trouble du spectre de lautiste (TSA) doivent souvent composer avec des ressources limitées pour leur venir en aide. Cette réalité peut devenir encore plus difficile dans lEst ontarien, là où le grand territoire cause des maux de tête additionnels, et où labsence de financement durable cause son lot dinquiétudes.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

 Nul doute que la responsabilité dun enfant ayant un TSA accapare le quotidien dun parent.

 À l’école, ces jeunes peuvent apprendre dans une classe spécialisée, où le ratio élèves/enseignants est plus élevé. Ces classes se remplissent rapidement, ce qui fait en sorte que certains parents doivent amener leurs enfants à lextérieur de leur village pour obtenir un tel service sur mesure.

 De son côté, le Regroupement Autisme Prescott-Russell propose des activités la fin de semaine, pour offrir un répit aux parents. Il ny a aucun service de jour, la semaine, pour les adultes vivant avec un TSA.

 Nathalie Lévesque a dailleurs dû prendre sa retraite denseignante plus tôt que prévu pour soccuper de son garçon de 22 ans.

 Avec laide dune subvention gouvernementale, elle paie 2000$ par mois pour quune intervenante de lagence Valoris. Lorganisme spécialisé dans loffre de services pour personnes ayant une déficience intellectuelle soccupe de son fils, quatre avant-midi par semaine. On lui propose des marches ou encore de jouer aux quilles ou faire du bénévolat: tout pour donner le sourire au garçon ayant un TSA et qui est non verbal.

 Nempêche qu’à 53 ans, la résidente de Casselman se trouve jeune pour être à la retraite.

 «Jai cogné à toutes les portes et je nai rien trouvé, dit-elle, impuissante. Je nai pas eu le choix de faire un sacrifice pour un enfant que jaime.»

 Ayant passé 11 ans en tant que directrice du Regroupement autisme Prescott-Russell, Nathalie Lévesque est une pionnière de lorganisme. Lorsquelle était enseignante, elle pouvait prendre soin de son garçon Jacob pendant les vacances. À l’école, son fils pouvait socialiser et était bien servi, soutient-elle.

 «Puis du jour au lendemain, il tombe avec rien.»

 Son fils est tout heureux avec son intervenante, soulève sa mère, qui vit sur le qui-vive.

 «Je ne sais jamais si mon intervenante va me lâcher. Si ça arrive, je nai personne dautre pour moccuper de mon garçon.»

 Avec sa situation, Jacob ne sera pas assez autonome pour occuper un emploi un jour, croit Nathalie Lévesque.

 Donner une chance

 Contrairement à Jacob, certaines personnes vivant avec un TSA plus léger sont en mesure de travailler. Ils peuvent compter sur des entreprises locales, comme le traiteur La Bonne Bouffe à Casselman.

 Le propriétaire Denis Sauvage engage de jeunes adultes vivant avec un diagnostic dautisme depuis de nombreuses années. Celui qui vit avec un déficit dattention depuis son enfance rappelle labsence de programmes spéciaux pour ce type d’élèves dans les années 1970.

 Fils dun père propriétaire dun commerce, il a eu la chance de travailler tôt dans sa vie. Il a donc à cœur le bien-être de ces jeunes.

 «Je crois quon a tous besoin de chances dans la vie, souligne-t-il. Mon but est de les rendre heureux, et quand on a ça, lentreprise fonctionne bien.»

 Afin de faciliter le travail de chacun, il délègue une tâche simple et répétitive, comme faire la vaisselle ou couper les légumes.

 «Il ne faut pas avoir de préjugés envers ces gens-là, conclut-il. Ils veulent être intégrés dans la vie de tous les jours.»

 Deux amours

 Journée de tempête, le transport scolaire annulé, Félix Saint-Denis et sa conjointe doivent faire du télétravail pour prendre soin de leurs enfants. Soccuper des enfants lorsquon travaille à la maison est déjà une charge supplémentaire. Pour les parents des enfants vivant avec un TSA , ça en ajoute une couche.

 «Récemment, on a eu droit à du marqueur sur le plancher d’Étienne, notre plus jeune, ajoute Félix Saint-Denis. Avec lui, cest le festival des niaiseries inimaginables.»

 Étienne doit évoluer dans une classe TSA. Celles à Casselman, où il réside, sont remplies au maximum de sa capacité. Il doit donc voyager une vingtaine de kilomètres vers lest pour se rendre à l’école de Saint-Isidore au lieu.

 Son frère Olivier bénéficie dun service daccompagnement dans une classe ordinaire. En labsence dun enseignant disponible dans son village, il doit se rendre à l’école à Embrun, vers louest dans son cas.

 Cela engendre des déplacements vers deux écoles dans des directions opposées, selon deux horaires différents, ce qui représente un défi à gérer pour les parents.

 Leurs enfants sont des usagers réguliers du Regroupement autisme Prescott-Russell depuis quelques années. En voyant leurs camarades, M. Saint-Denis se rend compte que ses «deux amours» ont un diagnostic léger comparé à dautres. Durant notre entretien, il ne cesse de louanger l’équipe de lorganisme, qui «aide à la santé mentale des parents».

 «Grâce au regroupement, nos enfants peuvent socialiser, ils se rendent compte quils ne sont pas les seuls à être différent, ajoute-t-il. Cest aussi un incubateur pour former de jeunes professionnels capables de prendre en charge des personnes vivant avec un TSA.»

 Lenseignante de son plus jeune est dailleurs une ancienne animatrice du regroupement. Il est également soulagé que le sujet soit moins tabou quil y a quelques années.

 «Quand on sen est rendu compte en 2016, on sest tout de suite posé des questions et on a fait des tests, se rappelle le militant franco-ontarien. Les gens de notre entourage ne voulaient pas quon le dise, mais plus on en parle, plus la société est au courant et les services deviennent nombreux.»

 Beaucoup de demandes, peu de ressources

 Le Regroupement Autisme Prescott-Russell a lancé un cri dalarme en septembre dernier pour demander à la population de laider dans une situation financière difficile.

 Grâce à diverses campagnes de financement, le regroupement a su remonter tranquillement la pente. Loctroi de 43 000$ des Comtés unis de Prescott et Russell (CUPR), pour combler leur déficit financier, a particulièrement été apprécié par le Regroupement.

 La présidente de lorganisme, Chantal Lavergne, est tombée en larme lorsque le conseil leur a attribué ce montant «assez élevé», note le président des CUPR, Normand Riopel. Cette aide leur permettra de poursuivre leurs activités régulières jusqu’à la fin de lannée scolaire en juin.

 Le regroupement étant reconnu comme organisme depuis deux ans, laide gouvernementale est donc plus compliquée à obtenir.

 «On ne peut pas se fier à des subventions pour survivre, confie la directrice générale Mélanie Lalande. Cest un trop grand stress de ne pas avoir la certitude de pouvoir offrir nos programmes chaque année.»

 La Société franco-ontarienne de lautisme a failli fermer ses portes plus tôt cet automne. Le Patro dOttawa, un service pour adultes francophones avec besoins spéciaux, cessera ses activités à la fin de lannée. Cela met plus de pression sur le Regroupement Autisme Prescott-Russell, établi à Embrun, mais qui ne peut accepter tout le monde en raison du manque de ressources.

 «Je reçois même des demandes de familles de Gatineau et de personnes anglophones», ajoute la directrice.

 Mme Lalande vit elle-même avec un garçon ayant un TSA.

 À lapproche de son passage vers la vie adulte, elle est de plus en plus inquiète par le manque de ressources. Les listes dattentes sont longues pour les quelques centres qui peuvent en prendre soin. Elle regarde également pour des occasions demploi avec le Groupe Convex.

Toutefois, elle est consciente que rien nest garanti dans lavenir.

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