À la rencontre de sans-abri dans l'Est ontarien

25 janvier 2024 - 09:58

Litinérance a changé de visage dans lEst ontarien dans la dernière année. Elle est devenue visible. Le Droit est allé à la rencontre de quelques-unes de ces personnes qui passent leur premier hiver à lextérieur à Hawkesbury.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

 Au-delà du couch surfing, qui caractérise litinérance depuis de nombreuses années dans la région, des personnes sans logement vivent de plus en plus dans la rue, comme on lobserve à Gatineau et à Ottawa.

 Un poste a donc été créé au sein des Comtés unis de Prescott et Russell (CUPR) pour leur fournir un soutien, directement sur le terrain.

 La coordonnatrice de la stabilité du logement, Nadia Séguin, travaille depuis avril dernier afin de venir en aide aux personnes sans logement dans la région.

 Elle collabore avec de nombreux services et organismes de la région comme lpital général de Hawkesbury, la Police provinciale de lOntario, la Maison Interlude, la Banque alimentaire de Hawkesbury et autres organisations.

 Quelques fois par semaine, elle se promène en voiture, surtout à Hawkesbury, pour prendre le pouls des personnes sans logement.

 On en compte 56 dans tout lEst ontarien et la moitié se trouve à Hawkesbury.

 Elle est toujours accompagnée dun expert en santé, comme un ambulancier, un thérapeute ou autre.

 Cette fois-ci, ce sera le journaliste.

 Le soleil reflète sa splendeur sur la neige en ce jeudi de début dannée. À -5°C, lhiver est bel et bien en place, après une fin décembre douce et verte.

 Nous partons à la rencontre dune dame qui vit en dessous du viaduc de la route 17. Accrochée sur une poutre supportant le passage, elle y dort avec son sac de couchage et y est bien installée. Notre guide lui apporte une carte-cadeau dune épicerie locale. Elle ne semble pas intéressée par la halte-chaleur. Elle préfère dormir dehors, dans ses affaires. On nira pas plus loin toutefois, la dame na pas envie de discuter avec un journaliste.

 Les cartes-cadeaux offertes par Mme Séguin proviennent de la générosité de la communauté qui finance leur achat, se réjouit-elle. Bien au courant de la situation de litinérance dans leur coin, plusieurs personnes ont organisé diverses activités durant les Fêtes : campagnes de financement, repas communautaires et dons de vêtements, pour ne nommer que ceux-là.

 À cet effet, la collaboration entre la communauté et les organismes facilite grandement sa tâche, exprime la coordonnatrice. Dès que quelquun connaît une personne sans logement, on lavertit et elle peut la rencontrer pour laider. Autrement, elle nintercepte personne dans la rue quelle ne connaît pas.

 Nous partons à la rencontre de Christine, qui passe son premier hiver sans logis.

 «Je voulais me faire couper les lobes doreilles, cest dans les premières parties qui gèlent», dit-elle.

 «Laisse faire ça, on va te donner une plus grande tuque», la rassure Nadia.

 On la trouve dans le stationnement près du centre commercial, son panier d’épicerie, ou plutôt ses effets personnels, à la main. On y trouve bien sûr une couverture, et un fond de spaghetti.

 Dans ses poches, elle détient sept dollars. Cest ce quil lui reste après que la banque ait fermé son compte.

 Dès quelle aperçoit le visage familier de Mme Séguin, elle ne cesse de lui demander si elle a pu lui trouver un logement. La coordinatrice appelle donc à la résidence Cameron, à Hawkesbury.

 Pendant ce temps, on tente de mieux connaître Christine. Il est difficile de saisir ses propos, elle qui divague dune anecdote à lautre.

 La résidence Cameron affiche complet. La Villa Baylon, une résidence à Saint-Pascal-Baylon, située à 50 kilomètres de Hawkesbury, serait une autre option.

 «Est-ce que je pourrais travailler à l’école?», demande Christine.

 «Pour ça, il faut sadresser au Centre de services à lemploi», répond Nadia Séguin.

 La dame passe quasiment des journées entières à la Bibliothèque publique de Hawkesbury. Est-ce que cette ville lui manquerait en déménageant dans un village éloigné? lui demande-t-on.

 «Je vais mennuyer, mais jen ai plein mon casque, soutient-elle entre deux bouffées de cigarette. Je suis barrée du Burger King, du McDonalds et du PFK. Alors quest-ce quil me reste? La banque, Postes Canada et la bibliothèque. Ça fait de trop longues journées à la bibliothèque et je veux m’éloigner de ça.»

 En attendant, elle dort à la halte-chaleur, située dans lancienne école Saint-Jean-Bosco.

 «Ce nest pas pire, mais 22h, cest trop tard.»

 La halte-chaleur accueille gratuitement les sans-abri de 22h à 6h. Elle est utilisée régulièrement depuis ses débuts, surtout lors des nuits froides, confirme Services aux victimes Prescott-Russell, responsables du projet pilote.

 Dans la rue, elle na pas vraiment damis.

 «Tu es la seule qui me suit, dit-elle en direction de Nadia; à part les deux autres bums! Je veux une place à mon nom, où je pourrai prendre soin de moi.»

 Mme Séguin lui donne une carte-cadeau de 50$ du Tigre Géant, et on repart.

 Itinérance rurale

 Cette dernière connaît quasiment toutes les personnes itinérantes par leur nom.

 Elle peut donc leur venir en aide personnellement, chose qui est plus rare en ville. Cependant, durant la journée, aucun endroit public nest dédié à leur accueil. Ce qui la préoccupe en cette saison hivernale.

 «Dans les gros centres dachat en ville, les gens sy rendent pour se réchauffer, mais ici, ils sont petits donc on leur demande de partir», remarque-t-elle.

 Il ny a également aucun endroit qui offre des repas en tout temps.

 Le Centre Chrétien Viens et Vois sert le dîner du vendredi et le restaurant Miss Hawkesbury collecte des dons des clients pour pouvoir servir des repas gratuits aux gens dans le besoin.

 Isolement et solitude

 Lisolement et la solitude sont également une préoccupation pour la coordonnatrice de la stabilité du logement.

 «Il y a plus de solitude en campagne, note-t-elle. L’été, il y a une population itinérante de Hawkesbury qui se rassemble à la place des pionniers pour jaser, mais lhiver, tout le monde est à lintérieur, donc ils sont isolés.»

 Dautre part, la plupart résistent à quitter leur patelin pour se rendre à Ottawa ou à Montréal, où il y a plus de services.

 «Les gens veulent rester dans leur région parce quils connaissent du monde, même sils ne leur parlent pas. Ils veulent rester dans leur communauté.»

 On se rend justement à la Place des pionniers, rue Main, pour peut-être y trouver Sébastien, autre itinérant que Mme Séguin croise régulièrement.

 Aucune trace.

 Il ne se trouve pas en dessous du pont Long Sault non plus, où certains sinstallent de temps en temps.

 En retournant dans le stationnement du centre commercial, on tombe sur Claude, recouvert de nombreuses couches de vêtements de la tête aux pieds, ne laissant apparaître que ses yeux perçants. Il est dans la rue depuis que lun de ses trois frères la expulsé de sa maison.

 «Des fois, jai une place pour dormir, ça dépend du monde qui mendure, marmonne-t-il à travers son cache-cou. Cest bien rare que jaille chez mon frère. Il y a souvent de la chicane avec un de mes frères. Jai câlissé mon camp de là. Quand mon frère me met dehors, je men vais.»

 Comment envisage-t-il lhiver?

 «Je vais faire des marches, je vais à la bibliothèque pour utiliser lInternet, comme ci comme ça. Je ne hais pas lhiver, mais jaime mieux l’été, il fait plus chaud. Je me sens un peu seul. Je vis ça un peu dur. Petit peu, par petit peu.»

 Depuis que nous avons rencontré Claude, il a réussi à obtenir une place dans un logement subventionné. Lhomme de 56 ans ne connaît que Sébastien et Christine comme personne itinérante en ville.

 Plus de logements sociaux

 En plus dun plus grand nombre de logements subventionnés, Nadia Séguin souhaite linstauration dun hébergement temporaire et de transition.

 «Il faudrait un logement de transition entre la rue et un appartement, soulève-t-elle. Dans la rue, les gens ne vivent pas en communauté et nont pas de règlement. Dans une résidence, on les aide un peu, mais il ny a pas dintervenant qui les aide à prendre soin deux, à vivre en appartement, à prendre leurs responsabilités, etc. Ils ont besoin de laccompagnement nécessaire pour pouvoir se concentrer sur leur projet de vie et se réinsérer à leur rythme dans la société.»

 À lheure actuelle, 1056 personnes figurent sur la liste dattente pour un logement.

Mme Séguin est du nombre dintervenants locaux qui militent pour que les municipalités reçoivent davantage de fonds du gouvernement provincial afin de construire des logements sociaux.

 La bibliothèque, un refuge spontané

 Après deux heures à se promener en ville, il est venu le temps de dire au revoir à Nadia.

 Arrivé dans le stationnement de la bibliothèque, un homme déambule avec un panier d’épicerie contenant ses effets personnels, en se parlant seul.

 Il sagit bel et bien de Sébastien.

 Rien ne semble le rabaisser en ce premier hiver sans logement pour lui.

 «Cest assez frette ici! Mais tout est beau, ma santé mentale va bien. Je ne me sens pas seul.»

 Après lavoir informé de la halte-chaleur, il compte sy rendre.

 En entrant à la bibliothèque, on croise Christine et Claude, assis devant lordinateur. En 20 ans de carrière ici, la directrice générale de la bibliothèque de Hawkesbury, Nathalie Saint-Jacques, a quasiment toujours vu des personnes itinérantes à la bibliothèque. Elle croise Christine, Claude et Sébastien quotidiennement, même en été.

 «Pourvu quils ne dorment pas ici, je nai aucun problème, soutient-elle. Ils peuvent lire, faire un casse-tête ou utiliser les ordinateurs. Quand quelquun s’étend sur le pouf, je lavertis et cest tout. Je nai pas de problème avec eux. Ils sont fins.»

 Hausse dachalandage à la banque alimentaire

 À la Banque alimentaire de Hawkesbury, la pauvreté et litinérance se font sentir de plus belle dans la dernière année. On y croise des personnes de tous les âges et de tous les milieux, comme des mères monoparentales, des familles immigrantes, et des gens du troisième âge.

 «Avant, on ne voyait pas daînés, ils étaient gênés, rapporte la présidente de la banque alimentaire, Jeanne Charlebois. Maintenant, ils nous disent quils narrivent plus à payer leurs comptes.»

 La fréquentation de la banque a augmenté de 45% depuis 2022. Heureusement, la communauté est présente pour pallier la demande.

 «On ne manque de rien!» rassure Mme Charlebois.

 Justement, lors du passage du Droit, les pompiers se sont pointés pour donner un chèque de 1500$, argent récolté lors du défilé du père Noël et dans les restaurants locaux.

 Pendant les Fêtes, la banque alimentaire a offert 495 paniers dune valeur de 55 000$ afin de nourrir 1092 personnes. En 2022, il sagissait plutôt de 410 paniers (37 000$).

 En tant que maire de la Ville de Hawkesbury et conseiller des finances à la banque alimentaire, Robert Lefebvre côtoie la situation de la pauvreté de près. De sa perspective, son rôle de maire ne lui donne cependant pas un grand pouvoir pour changer le cours des choses.

 «On espérait que le gouvernement fasse quelque chose pour litinérance, poursuit M. Lefebvre. Les députés disent que la construction de logements abordables nest pas assez rentable pour les promoteurs immobiliers, donc ils nen construisent pas. À la municipalité, on na pas de terrain à donner non plus, on a juste des parcs comme terrains libres.»

 Heureusement que Joanne Gratton, ou «Mme Positive» comme on la surnomme est là pour raviver ses troupes à la banque alimentaire. Elle ne cesse de louanger les bénévoles «exceptionnels».

 Pour elle, même les grands dossiers qui nécessitent une contribution des gouvernements ont espoir d’être réglés un jour.

 Pendant ce temps, Christine, Claude, Sébastien et dautres se démènent pour passer à travers lhiver.

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(Crédit/Photo : Charles Fontaine/ Le Droit)